La renaissance d'une sculpture du premier quart du XVIIe siècle
Dr Laure CHEVALIER, PhD
C’est en regardant nonchalamment des parures de pierres précieuses dans la vitrine d’un joaillier, en province, que je fut saisie par ce profil de figure iconique qui irradiait le fond obscur de l’échoppe… Un profil de visage mêlant confusément gravité, grâce et douceur : celui d’une Sainte Anne Trinitaire, motif symbolique apparu au XIIIe siècle, qui s’est progressivement diffusé en Europe.
Après l’enquête de traçabilité d’usage, je convainquis un amateur d’art de s’en porter acquéreur : il s’agissait non seulement de pouvoir rendre sa superbe à ce groupe statuaire en bois polychrome, dont les effets de surface raffinés disparaissaient sous la gangue de surpeints, de le faire renaître par une restauration intelligente quoique limitée, et de réhabiliter cette pièce magistrale grâce à deux études technique et scientifique approfondies. J’ai confié la restauration et l’étude des couches de couleurs à la spécialiste de sculptures polychromes, Juliette Lévy, responsable de l'atelier Sculpture au département des restaurateurs de l'Institut national du patrimoine (Inp, France), et l’étude iconographique à Élodie Jeannest de Gyvès, spécialiste de haute époque.
Les travaux de Juliette Lévy ont révélé, là où les surpeints ont été dégagés, une polychromie originale indéniablement somptueuse : dorure et argenture recouverte de fins glacis colorés rouge, vert et bleu…. Autrement dit, une « mise en couleurs » qui constitue l’un des premiers exemples de polychromie baroque connus à ce jour. La dorure et l’argenture, ainsi réapparues, refont jouer les effets de lumière en surface, révélant une facture plastique remarquable, notamment dans le mouvement et le rendu des plis. Quant à la polychromie d’origine retrouvée dans les vêtements et les carnations du visage de Sainte Anne, elle montre des effets picturaux d’une grande subtilité (je précise que les carnations de l’Enfant et de la Vierge conservent leur polychromie originale sous le surpeint de surface, mais qu’elles n’ont pas été dégagées).
L’étude d’Élodie Jeannest de Gyvès apporte un éclairage nouveau sur le motif, sur son contexte historique de création, sur son importance patrimoniale … Qu'elle conclut ainsi : « Cette œuvre est exceptionnelle par son état de conservation, le message cultuel qu’elle véhicule et la synthèse harmonieuse des différents styles dont son exécutant s’est inspiré. Préservant le message immuable transmis par la tradition gothique, elle présente la préciosité d’un style maniériste très bien assimilé tout autant que des innovations techniques, - exploitation virtuose de la polychromie et de la taille vive des vêtements pour donner vie aux personnages - qui définissent un style baroque naissant. Cette symbiose sert très justement l’exaltation d’un nouveau message prôné par l’Eglise catholique à travers le culte triomphant de ses saints dans le contexte des retables. Exécutée dans le premier quart du XVIIème siècle, cette sainte Anne Trinitaire apparaît comme un rare prototype d’une production qui va s’accroitre dans les régions d’Allemagne du Sud et diffuser l’iconographie de sainte Anne dans un style définitivement baroque. »
Cf. ci-dessous, l'intégralité de l'étude d'E. Jeannest de Gyvès (FR/EN), des extraits du rapport de J. Lévy, ainsi que les planches d'étude approfondie sur la polychromie (publication en cours).
Iconographie et contexte historique (Élodie Jeannest de Gyvès) FR/EN
Techniques de mise en oeuvre (extraits du rapport de Juliette Lévy) FR/EN
Polychromie d'origine et surpeints (Juliette Lévy) FR/EN