INVENTION/ DÉCOUVERTE /AUTHENTIFICATION D'UN UNICUM (2008-2015)
Expertise approfondie / Direction de la restauration / Conseil / Travaux de recherche / Réhabilitation patrimoniale
"Un serpent embrasse de ses contours ; sa dent ronge tout en silence ; un azur éternel embellit ses écailles ; il dévore sa queue replié vers sa tête, et d'un mouvement circulaire, tourne éternellement sur lui-même"
Claudien, Ve siècle
DIAM. À L'EMBOUCHURE : 18,6 CM ; HAUTEUR TOTALE 8 CM (COUVERCLE MANQUANT) ALLIAGE D'ARGENT MASSIF TRÈS BIEN TITRÉ [253 gr ; 7 1/4 in, 8oz 27dwt]
"[...] Pour ceux qui s'attardent au vin, pour ceux qui recherchent les boissons capiteuses Ne regarde pas le vin qui rougeoie, qui donne toute sa couleur dans la coupe et qui glisse facilement En fin de compte il mord comme un serpent il pique comme une vipère."
[Proverbes, 23.32]
[Extraits du Rapport d'expertise - version de 2015 - par Dr Laure Chevalier (53 pages)]
"Témoignage unique, cette pièce d'orfèvrerie du XIIe siècle enfermait toutes les difficultés d'un hapax privé de son contexte de découverte. La rareté de cette Coupe au dragon Ouroboros, établie par son passage devant la Commission des Trésors nationaux en 2010, m'amena à investir plusieurs champs scientifiques pour pallier la pénurie documentaire. Sur le plan technique et stylistique, la "Coupe au dragon Ouroboros" emprunte à diverses influences, principalement orientales. L'enquête aura permis de retrouver d'autres représentations d'animaux fantastiques, lovés sur eux-mêmes et formant cercle."
"Le dragon Ouroboros qui orne la coupe s'apparente au motif de décor sculpté de la cathédrale de Bayeux, qui a longtemps donné lieu à une "débauche d'hypothèses explicatives", pour reprendre la formule de Lucien Musset. Le motif de la cathédrale de Bayeux n'étant pas isolé, la question de son origine pourrait se poser en ces termes : l'identification du dragon ourovore sur la tapisserie de Bayeux - scène 43, au-dessus de la scène du banquet - et sur d'autres productions normandes invite à s'interroger sur le rôle des iconographes normands dans l'intégration de motifs empruntés à d'autres sociétés plus anciennes et/ou orientales (Grèce antique, Iran sassanide, Égypte copte). Les investigations ont aussi révélé la grande érudition des ecclésiastes normands (connaissance précoce du grec et des sources antiques de la culture aristotélicienne et intérêt pour la philosophie scolastique). Mais plus encore que sa genèse ou son introduction en Normandie, la signification du motif se pose. L'enquête montre qu'il s'agit d'une représentation de l'Ouroboros; les parallèles établis avec d'autres exemples, leur confrontation avec les représentations de l'Ourboros des textes alchimiques postérieurs, et l'existence avérée d'une autre occurrence de l'animal fabuleux au XIe siècle,dans le scriptorium du Mont-Saint-Michel, lèvent toute ambiguïté quant à cette interprétation."
"Les investigations encrent définitivement l'objet dans une aire qui correspond à l'espace Plantagenêt de la seconde moitié du XIIe siècle, un territoire soumis à des influences culturelles et artistiques communes, que la cour royale itinérante favorise."
"Les investigations montrent que la correspondance étroite entre le répertoire ornemental de la "Coupe au dragon Ouroboros" et celui qui figure sur un document de chimie antique (grecque), la Chrysopée de Cléopatre, n'est pas fortuite : une planche d'illustration de la Chrysopée de Cléopatre (reproduite dans le Manuscrit de Saint-Marc, fol. 188, verso, XIe siècle) juxtapose les cryptogrammes familiers : lune; trois cercles concentriques dans une composition centrée sur des signes [cercles symboles de l'or, de l'argent (avec un petit appendice) et du mercure]; des signes proches de l'escarboucle à 8 rais; un Ourobouros attaché à l'inscription grecque "en to pan".
"Connu des maîtres normands, le savoir alchimique semble avoir été diffusé secrètement comme en témoigne l'usage du procédé de la coupellation : dans son traité "Essai sur les divers arts" qu'il adresse aux moines bénédictins, le moine Théophile est le premier à décrire le principe de la coupellation dans l'orfèvrerie. À cet égard, l'excellente teneur en argent de cette "Coupe au dragon Ouroboros" confirme que le fondeur savait contrôler le titre de l'argent à quelques millièmes près, par la méthode de coupellation."