Le groupe de Sainte Anne Trinitaire : la mise en œuvre (extraits du rapport de restauration)
Juliette LÉVY Restauratrice du patrimoine (sculptures polychromes) Responsable de l'atelier Sculpture au département des restaurateurs de l'Institut national du patrimoins (Inp, France).
Sainte Anne trinitaire
Bois (tilleul ?) polychromé. Dimensions : H. 1, 55 m; L. 0, 41 m ; Pr. 0, 27 m.
I. ETUDE DU BOIS ET DE LA STRUCTURE
La Sainte Anne trinitaire est une œuvre de dévotion, initialement placée dans une niche, un retable ou un tabernacle. Elle est conçue pour être appliquée contre une paroi : le revers, assez plat, n’est pas sculpté. L’interruption brutale des volumes à la base de l’œuvre, notamment le fait que les pieds ne reposent pas sur un support, incite à penser qu’elle était posée sur un socle ou une terrasse. Cette hypothèse pourrait être confirmée par la présence de restes de polychromie (une argenture) exécutée dans un pli sous la base, peut-être initialement en partie visible.
1. Le bois L’œuvre est taillée dans un bois clair, un feuillu homogène, dont l’aspect évoque fortement le tilleul, essence couramment travaillée dans l’Est de la France et les pays germaniques, en particulier le sud de l’Allemagne et l’Alsace. La sculpture est exécutée dans une demi-bille de tilleul. La base de l’arbre, plus large, est vraisemblablement située dans la partie inférieure de la sculpture. Un nœud apparaît à un tiers de la hauteur. Sous la base, se distinguent des fentes radiales, émanant du cœur de la bille, qui a été éliminé : source de contraintes pour le bois, le cœur pouvait en effet favoriser l’apparition de fentes. L’orientation du cœur suit vraisemblablement le canal médullaire légèrement oblique, creusé à l’outil au revers, dans la partie médiane. Au dos, la texture fibreuse du bois, visible par endroits, indique que la bille a été fendue avant d’être redressée à l’outil, afin que la surface soit plane.
2. Mise en œuvre du bois
• Structure générale La sculpture est taillée dans une pièce de bois principale, à laquelle plusieurs pièces de bois sont rapportées. Les joints entre les pièces de bois sont peu visibles, indiquant que les collages et assemblages ont été exécutés avec soin, comme il était d’usage dans les régions germaniques.
Pièces de bois rapportées (d'origine) : Les observations effectuées lors de l’observation minutieuse confirment les examens radiographiques.
Sur Sainte Anne : - Le visage, solidaire de la partie avant du voile de Sainte Anne, jusqu’au cou, est une pièce de bois rapportée. L’extrémité de la chaussure l’est aussi. - Un petit pan d’étoffe est ajouté sur le côté senestre du manteau.
Sur la Vierge : - Chaque bras (le bras gauche comprend une pièce supplémentaire au poignet), et la partie latérale dextre de la robe, (assemblage consolidé par deux grandes chevilles). - Doigts de la main gauche. - L’extrémité du pied gauche et probablement celle du pied droit, qui est actuellement une réfection. - La couronne : celle d’aujourd’hui est une restitution tardive. Mais le fait que le pan du vêtement de Sainte Anne présente un renfoncement juste au niveau de la couronne indique bien qu’une couronne rapportée, probablement d’orfèvrerie, était prévue pour occuper cet emplacement dès l’origine.
Sur l’Enfant : parties sculptées en saillie par rapport à la bille de bois principale : Jambe droite Bras gauche, fait de deux pièces de bois (avant-bras retenu par deux chevilles, et bras, jusqu’à l’épaule).
• Traces d’outils sur la sculpture : La taille de la sculpture est tout à fait conforme à la tradition des ateliers germaniques de la fin du Moyen-Age. Le revers de l’œuvre est particulièrement intéressant à observer pour identifier les outils utilisés, dont la trace a été laissée brute. Le bois a été poli avec soin sur la face avant l’application de la polychromie.
La sculpture a été sculptée à l’horizontale, comme cela était d’usage dans les ateliers germaniques. On décèle en effet des traces d’étau : trois cavités anciennes laissées par les griffes de l’étau, dont deux, plus importantes, alignées au sommet de la tête, ont dû servir au maintien de la bille de bois pendant la taille. Une autre cavité d’étau devait se trouver sous la base, mais cette dernière a probablement été sciée avant l’exécution de la polychromie.
• Traces de fixation Il y a peu de traces de fixation apparentes. La sculpture était-elle simplement posée dans le retable ou le tabernacle, sans mode de fixation particulier ? Le cas se rencontre parfois. On remarque toutefois quelques très petites cavités : sous la base, elles sont au nombre de trois, et peu discernables tant elles sont minimes : clous ou traces d’étau ? Une pointe forgée est également visible. Correspond-elle à la fixation à un support ancien ?
Quelques orifices au revers des têtes sont visibles. Derrière la tête de sainte Anne, se trouvent deux grandes cavités, placées l’une sous l’autre, dont on peut supposer qu’elles permettaient la fixation d’une auréole. Celle du haut est surmontée d’un percement vertical qui paraît plus ancien, et qui présente un arrachement. Sans doute avait-elle aussi une fonction d’accroche de l’auréole, ou plus probablement de trois rayons. Au revers de la tête de l’Enfant, cinq cavités ont dû remplir les mêmes fonctions, contenant des rayons en bois doré ou en métal (mais les deux plus basses semblent modernes).
• Eléments rapportés d'origine manquants: La couronne d’origine a été remplacée par une couronne d’argent (à la fin du XIXe siècle ?), à une époque où la sculpture était probablement encore un objet de dévotion. Les auréoles ou rayons autour des têtes de Sainte Anne et de l’Enfant sont également perdus.
II LA POLYCHROMIE D'ORIGINE
La dorure et l’argenture d'origine ne sont qu’en partie préservées, laissant apparaître la préparation blanche et le bol rouge sous-jacents. Les glacis colorés translucides vert, bleu et rouge qui les recouvraient ne sont conservés que dans les creux. Les différents niveaux de polychromie ont été mélangés lors d'un décapage tardif, limitant l’étude stratigraphique (l’examen de la polychromie réalisé sous loupe binoculaire a permis de déceler les restes de deux repeints au minimum sur la polychromie d’origine, mais il y en avait sans aucun doute davantage).
Actuellement et après notre restauration, la surface de l’œuvre présente essentiellement la polychromie d’origine (vêtements dorés ou argentés, carnations du visage de Sainte Anne). Toutefois les carnations de l’Enfant et de la Vierge correspondent au premier repeint (XVIIIe siècle ?), tout comme le blanc sous-jacent du voile de Sainte Anne et le pan d’étoffe autour de son encolure et de celle de la Vierge. Il faut cependant préciser que la polychromie d’origine est présente sous les repeints des carnations de l’Enfant et de la Vierge, ainsi que sur le voile de Sainte Anne. Par sa conception, la polychromie la plus ancienne, vraisemblablement d’origine, se rattache à la période baroque : elle se caractérise en effet par l’emploi prédominant de dorure et d’argenture revêtues de glacis colorés translucides, rouge, orangé, bleu et vert. Les vêtements de sainte Anne et de la Vierge sont complexes et leur compréhension était favorisée par la polychromie, les limites des vêtements se décelant grâce aux différences du traitement coloré.
• Mode d’exécution La polychromie d’origine a été tout d’abord réalisée sur la sculpture couchée horizontalement, pour l’application de la préparation du bol et la pose des feuilles d’argent et d’or. On note en effet que le dessous de la base, inaccessible lorsque l’œuvre est placée verticalement, présente des traces de préparation et même du bol et des feuilles d’argent dans un creux de pli du manteau de Ste Anne. Sur la préparation blanche encore bien visible au revers, le bol orangé, sous-jacent aux feuilles d’or et d’argent, a été appliqué généreusement. On en trouve en effet presque sur la totalité de la surface, par exemple sur la main gauche de Ste Anne, qui n’était pourtant pas destinée à être dorée ou argentée. L’abondance de la présence du bol montre que dès le départ il était prévu de donner aux feuilles métalliques d’or et d’argent brunies le rôle prédominant. Les deux métaux sont approximativement autant utilisés l’un que l’autre.
Après la pose et le brunissage à l'agate des feuilles d’or et d’argent sur tous les vêtements, y compris les chaussures- et probablement sur les chevelures, les glacis colorés ont été peints sur la sculpture relevée à la verticale : Bleu sur argent, sur le globe tenu par l’Enfant, sur le revers du voile de Sainte Anne et le revers de l’étoffe dorée drapée autour de la Vierge; Glacis vert sur argent de la robe de Sainte Anne, dont le revers était peint d’un glacis rouge sur argent bien visible à l’intérieur des larges manches. Un glacis rouge a été également utilisé pour l’extérieur de la robe de la Vierge, qui est ornée d’une bordure inférieure dorée. Il en est de même pour le voile de Sainte Anne, argenté (peut-être revêtu d’un glacis légèrement jaune aujourd’hui disparu ?) et orné d’une ligne noire peinte le long de la bordure dorée. Les grands pans d’étoffe drapés autour des hanches de la Vierge et des épaules et hanches de Sainte Anne étaient réservés à la dorure, qui était également présente par touches sur des accessoires, telles les ceintures et la bande festonnée verticale sur le buste de la Vierge. La dorure n’a pas, semble t-il, conservé de glacis coloré : peut-être l’or en était-il dépourvu. On peut raisonnablement supposer que les chevelures de la Vierge et de l’Enfant étaient revêtues d’or. Si tel est le cas, la couche ocrée encore en place est une mixtion préparatoire à l’application d’une dorure mate. Enfin les carnations ont été peintes avec soin, exécutées en deux couches très fines, discernables sur le visage de Sainte Anne : sur une fine couche rose pâle, une seconde couche d’un rose plus soutenu a été posée, avec des rehauts plus vifs sur les joues par exemple. Les iris des yeux ont été peints en brun sur les trois figures.